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THE REVENANT

un film de Alejandro González Iňárritu

Adapté d’un roman de Michael Punke lui-même inspiré d’une histoire vraie, et ayant déjà été traité au cinéma par Richard Sarafian en 1971 (« Le Convoi sauvage »), ce film, à présent qu’il est sorti sur les écrans, suscite autant de réactions de rejet que de réactions élogieuses. Pour les uns, ce n’est qu’une coquille vide ou une sorte de long pensum qu’on a hâte de voir s’achever. Pour les autres, c’est, au contraire, une œuvre fascinante qui, malgré sa durée, paraît bien courte tant on en savoure tous les instants. Pour ce qui me concerne, si je me suis rendu à une projection de ce film en me préparant mentalement à faire partie du premier de ces groupes, je me suis vite rendu compte, dès les premières scènes, que ce serait le deuxième groupe qui me compterait parmi ses membres les plus résolus et les plus enthousiastes.

« The Revenant » est en effet un film superbe et passionnant, un grand film d’aventures et une œuvre qui ouvre ou qui peut ouvrir (chez celui qui est réceptif) de multiples champs de réflexion. Je n’ai pas besoin de souligner la performance d’acteur de Leonardo Di Caprio : elle a été suffisamment relayée par les médias. Mais ce qu’il convient d’ajouter, c’est que ce film ne repose pas seulement sur les qualités d’un acteur, aussi doué soit-il, il est mis en scène et réalisé de très belle manière et, parfois même, de manière grandiose. Cela saute littéralement aux yeux dès l’ouverture, dès les premières scènes qui nous mettent en présence d’un groupe de trappeurs qui, en 1823, isolés dans une nature sauvage du Dakota, est attaqué par des Indiens Arikaras. Séquence classique de tant de westerns, dira-t-on, mais elle est filmée ici avec une telle invention, avec des angles de caméra si innovants qu’on a presque l’impression de la voir pour la première fois. Cette inventivité de la mise en scène et ces subtilités dans les prises de vue et les mouvements de caméra sont présentes tout au long du film. Certains plans, c’est vrai (et il n’a pas manqué de critiques pour le reprocher à Iñárritu, comme s’il était une sorte de plagiaire), sont directement inspirés de films d’un géant du cinéma, le russe Andréi Tarkovski : rien n’interdit cependant de les considérer non pas comme de pâles imitations, mais comme de beaux et révérencieux hommages à l’un des plus grands cinéastes du monde !

Cela étant dit, il me paraît également important et nécessaire de contredire ceux qui ont cru bon d’éreinter « The Revenant » en en soulignant la prétendue inanité. Ce film est-il vraiment la « coquille vide » que dénoncent quelques critiques ? Ses qualités ne sont-elles que formelles ? N’a-t-il rien d’autre à offrir que de belles images, que des paysages impressionnants ? Nullement. Et il n’est pas juste, me semble-t-il, de le limiter au seul thème de la vengeance, thème ô combien éculé quand il s’agit de western !

S’il est exact d’affirmer qu’un désir forcené de vengeance anime la plus grande partie du film, il est faux cependant de le circonscrire à ce seul thème. Le héros du film, le trappeur Hugh Glass, brutalement attaqué et lacéré par une ourse grizzli, d’abord recueilli et soigné par ses compagnons, doit ensuite être laissé à la seule garde de trois d’entre eux (dont son fils métis prénommé Hawk), les autres, toujours pourchassé par les Indiens, essayant de rejoindre un fort. Mais la tension ne tarde pas à monter entre les trois qui se sont proposés pour assurer la surveillance de Glass. L’un d’eux, nommé Fitzgerald, menteur, fourbe et détestant les Indiens, en vient à tuer Hawk sous les yeux de son père, en l’absence du troisième garde, le jeune Bridger (dont on a pu déjà constater, lors d’une scène précédente, que c’est un homme compatissant). Fitzgerald, à force de ruse et de mensonge, réussit néanmoins à l’entraîner à sa suite et à abandonner Glass à une mort quasi certaine.

Commence alors pour Glass une lutte inouïe pour vaincre tous les dangers, surmonter les épreuves, survivre, retrouver Fitzgerald et se venger. Je me garderais bien sûr de raconter toutes les péripéties du film, mais ce qu’il me paraît important de noter, c’est que, si Glass parvient à s’en sortir et à vivre, c’est, en partie, parce que sa route croise celle de Hikuc, un Indien Pawnee qui fait preuve de miséricorde envers lui et le sauve de la mort. Je le souligne pour indiquer que, s’il est vrai que le thème central du film est celui de la vengeance, il n’y en a pas moins place dans le scénario pour son opposé, le thème de la miséricorde. Il convient également de remarquer que le traitement réservé aux Indiens dans ce film n’a rien de caricatural : ceux-ci ne sont pas uniquement présentés comme des tueurs sanguinaires.

Il ne faut pas se fier aux apparences ni se contenter de la simple trame du film. Sous ses airs simplistes se dissimulent mille richesses. Le thème lui-même de la vengeance n’est pas traité d’une manière trop rudimentaire. Fitzgerald (peut-être est-ce par dérision) énonce au cours du film que « la vengeance appartient à Dieu seul. » Pour les lecteurs de la Bible, impossible de ne pas songer aussitôt à Isaïe 35,4 pour qui « la vengeance qui vient, la revanche de Dieu », c’est d’apporter le salut aux hommes.

Pour finir, j’ajouterais qu’il est possible et tout à fait licite de recevoir « The Revenant » à la manière d’une parabole, d’une de ces paraboles (dont Jésus lui-même fait parfois usage, notons-le) qui racontent le négatif afin de faire percevoir le positif. En voyant comment, dans ce film, Glass parvient à surmonter toutes les épreuves, à traverser tous les dangers, à survivre à tous les malheurs dans le seul but de se venger, l’on se dit qu’il faudrait adopter le même acharnement pour atteindre d’autres buts : non pas la vengeance mais le pardon, non pas la haine mais l’amitié. 

Note:  8,5/10

Luc Schweitzer, sscc.