un film de Woody Allen.
Après tant de films réalisés et portés à l’écran, il serait absurde d’attendre de Woody Allen quelque chose de totalement inédit. Mais tous les créateurs ne font-ils pas de même ? Qu’ils soient romanciers, peintres ou cinéastes, les artistes les plus grands ressassent inlassablement les mêmes thèmes et donnent en spectacle les mêmes personnages ? Il ne viendrait à l’idée de personne, je suppose, de déplorer la manie qu’avait Rembrandt de se peindre lui-même (il fit à peu près 80 autoportraits et pas un n’est anodin!). Woody Allen, lui aussi, en grand cinéaste qu’il est, triture sans fin les mêmes thèmes et malaxe sans se lasser la même pâte humaine. L’impression de déjà-vu qu’on peut ressentir en voyant ce nouveau film est réelle, on a le sentiment que les personnages qui s’y produisent sont issus de films antécédents, mais on n’en est pas moins irrésistiblement séduit car ce qui est vrai également, c’est que le talent de conteur et de metteur en scène du cinéaste new-yorkais non seulement ne faiblit pas mais qu’il s’approche de plus en plus d’une sorte d’idéal !
Si le scénario de « Café Society » n’est pas d’une folle originalité, la mise en scène, elle, est si parfaite et les dialogues, eux, sont si savoureux qu’on n’en finit pas de se délecter. « La vie, affirme l’un des personnages du film, est une comédie écrite par un auteur sadique ». Pour preuve, nous voici emporté avec Bobby (Jesse Eisenberg) jusqu’à l’Hollywood du début des années 30. Ayant quitté la demeure familiale de New-York, il y retrouve non sans peine son oncle Phil (Steve Carell), un producteur richissime qui se vante de fréquenter les plus grandes stars de l’époque. Bobby n’obtient qu’une place de coursier mais qu’importe puisqu’il fait la connaissance de Vonnie (Kristen Stewart), la ravissante secrétaire de l’oncle dont il tombe aussitôt éperdument amoureux. Tout n’est pas si simple cependant, on l’imagine, car la belle fréquente déjà un homme, marié certes et beaucoup plus âgé qu’elle, mais riche et qui pourrait bien quitter ses attaches pour elle. Quel choix fait-on dans ce cas-là ? Celui du jeune homme séduisant, mais pauvre et n’aspirant qu’à retourner à New-York, ou celui de l’homme mûr et marié, mais riche et fréquentant le grand monde d’Hollywood ?
Woody Allen suggère assez habilement le peu de cas qu’il fait de ce monde-là, ce monde de frivolité que Bobby se décide en effet à quitter pour s’en retourner à New-York et y retrouver les siens, laissant derrière lui celle qu’il aime. La famille que Bobby réintègre n’a rien de très reluisant pourtant, c’est le moins qu’on puisse dire (on y compte même un membre de la pègre), ce qui n’empêche pas le garçon de réussir enfin et à se marier et à gagner largement de quoi vivre en dirigeant le night-club qui donne son titre au film. Fidèle à sa manière, sous des apparences de légèreté, c’est un monde déliquescent que dépeint Woody Allen, à quoi s’ajoutent ici les portraits d’une famille (celle de Bobby) qui collectionne les revers, au point que son chef, Marty, le patriarche, en vient à déplorer le « silence de Dieu » (ce à quoi son épouse rétorque que « pas de réponse, c’est encore une réponse ») ! Un monde cruel, marqué par la fuite du temps, et qui, s’il autorise des retrouvailles (celles de Bobby et Vonnie, par exemple), le fait sous les signes des regrets inutiles et de la mélancolie.
Un scénario qui n’est pas d’une folle originalité, écrivais-je plus haut : c’est vrai et faux à la fois. Vrai si l’on ne prend en compte que le récit dans sa globalité. Faux si l’on s’attarde sur les détails, sur la multitude des bonnes idées qui réactivent sans cesse l’intérêt du spectateur. Woody Allen est un maître dans ce domaine : son film étincelle de petits détails qui relancent l’intrigue, de répliques savoureuses et de belles idées de mise en scène. Qualifier « Café Society » de film mineur, comme je l’ai lu dans certains commentaires, n’est pas du tout opportun. Les qualités d’un film ne se mesurent pas à l’aune d’une histoire (ou d’un « pitch », comme on dit aujourd’hui), mais bien davantage à l’aune de la finesse des dialogues, des idées de mise en scène et de la direction d’acteurs (sans compter la photographie, le son et plein d’autres éléments). De ce point de vue, « Café Society », comme bien d’autres œuvres de Woody Allen, est un film majeur, une parfaite réussite !
NOTE: 9/10
Luc Schweitzer, sscc.