un film de Clint Eastwood.
Il ne faut désespérer de personne, surtout pas d’un cinéaste qui a su donner les preuves de son talent à de nombreuses reprises dans le passé. Il y avait cependant de quoi se poser des questions. Depuis une bonne dizaine d’années, toutes les réalisations de Clint Eastwood m’avaient semblé plus ou moins décevantes, voire carrément détestables, à l’image du dernier film en date, « American sniper » (2014), œuvre nauséeuse dont le héros était un tireur d’élite ayant abattu 255 cibles durant la guerre d’Irak.
Aujourd’hui, au contraire, le héros choisi par le cinéaste est un homme dont la gloire est d’avoir sauvé des vies. Le commandant Sullenberger, appelé familèrement Sully (Tom Hanks), c’est ce pilote d’un Airbus A320 qui, alors que son avion était en péril au-dessus de New-York, a décidé de le faire amerrir sur l’Hudson, sauvant ainsi les 155 vies qui étaient à son bord. Cela a duré exactement 208 secondes : si peu de temps pour prendre une décision et, plutôt que de tenter de rejoindre une piste d’atterrissage, oser se poser sur le fleuve. C’est ce que les journalistes ne tardèrent pas à désigner par « le miracle de l’Hudson ».
Comment faire un film intéressant, captivant, sur ces 208 secondes sans refaire pour la énième fois un film catastrophe sur une histoire d’avion en danger ? C’est là qu’intervient le talent de Clint Eastwood, car « Sully » réserve la surprise d’être bien davantage qu’un simple et banal film catastrophe. Certes le réalisateur nous impressionne aussi sur ce plan-là : les 208 secondes fatidiques sont filmées avec un formidable savoir-faire. Mais ce qui donne au film sa grandeur et sa force, c’est son personnage principal, son héros que les uns acclament mais que les autres interrogent sans relâche.
Car, même si tous les passagers sont sains et saufs, une commission d’enquête cherche à déterminer si Sully n’a pas failli à son devoir. Plutôt que de prendre le risque d’amerrir sur l’Hudson, le pilote n’aurait-il pas dû mener l’avion jusqu’à une des pistes d’atterrissage les plus proches ? En avait-il les moyens ? Ces soupçons rejaillissent sur lui, l’isolent et le tourmentent au point qu’il ressasse inlassablement l’événement. Le titre de héros qu’on lui a si vite attribué ne va pas de soi à ses yeux, il est loin de l’accepter comme une évidence.
Il lui faut donc revivre par la pensée, comme une obsession, chacune des secondes du drame, soupeser les mots échangés avec son copilote et les décisions qu’il a prises. Et rappeler aux enquêteurs la part de l’humain. Face aux simulateurs de vol qui essaient de recréer l’événement afin de vérifier si réellement il n’y avait pas moyen de rejoindre une piste d’atterrissage, c’est ce que rappelle Sully. Aux commandes d’un avion se trouve un homme et non une machine. Un homme à qui, certes, il est nécessaire d’accorder quelques secondes de plus pour prendre une décision, mais un homme qui va jusqu’au bout de l’exploit afin de sauver les vies qui lui sont confiées.
En choisissant de faire le portrait de ce héros malgré lui, de cet homme qui doute, qu’on malmène et qui cherche sa guérison, Clint Eastwood a réussi un film à la fois haletant et bouleversant.
NOTE: 8/10
Luc Schweitzer, sscc.