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UN SAINT HOMME

un livre de Anne Wiazemsky.

Dans les écrits autobiographiques d’Anne Wiazemsky, jusqu’à présent, il était essentiellement question de personnalités plus ou moins célèbres du monde culturel : on y rencontrait, bien évidemment, son illustre grand-père, François Mauriac, mais aussi le cinéaste Robert Bresson avec qui la toute jeune fille de 18 ans avait commencé une carrière d’actrice (« Au hasard Balthazar » en 1965), puis Jean-Luc Godard qui lui avait donné un rôle dans « La Chinoise » en 1967 et qu’elle avait épousé la même année et bien d’autres célébrités comme Francois Truffaut ou le philosophe Francis Jeanson. Cela, Anne Wiazemsky l’a raconté avec talent dans trois ouvrages tout à fait passionnants (« Jeune fille », « Une année studieuse » et « Un an après »).

Aujourd’hui cependant, dans le nouvel ouvrage de celle qui a fait le choix de laisser son métier d’actrice pour se consacrer à la littérature, ce n’est pas d’une célébrité dont il est question mais d’un religieux, d’un prêtre, d’un homme dont le nom ne dira rien à la plupart des lecteurs et qui le découvriront par la grâce de ce récit. Le «saint homme » qui lui donne son titre, c’est le Père Marcel Deau, religieux de la congrégation des Fils de Marie Immaculée, ordonné prêtre en 1958 et envoyé dès 1959 au Venezuela en tant que professeur de français et de latin au Colegio Francia de Caracas. C’est là qu’il apprend que l’une de ses élèves est la petite-fille de François Mauriac : « Enseigner le français à la petite-fille du Grand Mauriac, comme il l’écrira plus tard, ça flatte son homme ! »

Mais le Père Deau n’est pas du genre à se laisser impressionner et ce qui va rapidement le lier à son élève ne dépend nullement de la réputation de l’illustre ancêtre. Comment nommer le lien qui, sans tarder, l’unit à la collégienne ? Le Père Deau perçoit que dans le cœur et dans l’esprit de l’adolescente germent de beaux talents qui ne demandent qu’à s’épanouir ; il prend figure de père, de guide, de mentor, de conseiller,… Très vite, quotidiennement, au vu et au su de tous, le professeur et l’élève passent de longs moments à échanger des idées, à parler de littérature essentiellement car c’est leur passion commune. Hélas ! Il se trouve toujours, dans ces cas-là, des regards soupçonneux et des langues malveillantes, des dénonciateurs, des accusateurs, des calomniateurs ! Le Père Deau n’y échappe pas et, du jour au lendemain, interdiction lui est faite de voir son élève en dehors de la salle de classe. La jeune élève, elle, qui ne sait rien de ces méchancetés, s’étonne de constater que le professeur a cessé de converser avec elle.

Ce n’est que bien plus tard qu’elle apprend la vérité de la bouche même du Père Deau, qu’elle retrouve après des années de séparation. Elle a quitté le Venezuela pour la France, tandis que le Père Deau est envoyé en mission au Cameroun. Ni l’un ni l’autre n’ont totalement oublié la belle complicité qui les liait. Même au Cameroun, le Père Deau découvre à la faveur d’une séance de cinéma ambulant que son ancienne élève est devenue la jeune actrice d’un film de Robert Bresson ! Plus tard encore, après le retour du Père Deau en France, tous deux, enfin, se retrouvent et reprennent le fil intermittent de leurs rencontres et de leurs échanges.

C’est ce que raconte, avec simplicité et gratitude, Anne Wiazemsky, dans ce beau livre. Entrevues et échanges de lettres émaillent les années et entretiennent la flamme d’une grande amitié. Le Père Deau est présent, autant qu’il est possible, à des moments clés de la vie de celle qui est devenue romancière. Il n’est pas homme à juger, il est homme à conseiller. Chaque livre écrit et publié par l’écrivaine lui donne l’occasion d’affirmer son soutien indéfectible. Il est assis au premier rang chaque fois qu’a lieu une rencontre de la romancière avec son public et, quand un prix est décerné à celle-ci (le Grand Prix de l’Académie Française pour « Une poignée de gens » en 1998), il a un peu le sentiment que c’est lui aussi qui est récompensé. Il est également présent, bien sûr, en tant que religieux prêtre, non seulement parce qu’il répond à des demandes spécifiques (celle d’un baptême par exemple), mais parce qu’il se confie volontiers sur les missions qui lui sont confiées et sur ses tâches d’homme d’Eglise. On devine, au détour de quelques phrases, que l’écrivaine est impressionnée par la foi de cet homme.

Un homme, un religieux, un prêtre, qui s’est donné sans mesure à ceux qui lui ont été confiés et qui, cependant, est resté indéfectiblement fidèle à l’amitié, à l’affection qui le liait d’une manière toute particulière à celle qui fut son élève, jusqu’à sa mort en 2006. Un religieux prêtre qui a donné sa vie au service d’autrui peut-il, sans contradiction, entretenir la flamme d’un attachement privilégié (avec une femme, qui plus est!) ? Oui, bien sûr que oui, c’est la réponse évidente qui saute aux yeux à la lecture de ce livre. N’y verront le mal que les pharisiens d’aujourd’hui ! Les pages que consacre Anne Wiazemsky au Père Deau sont extrêmement touchantes. Elle décrivent un « saint homme », oui, un homme qui, bien que bavard impénitent, est à l’écoute du cœur d’autrui, un homme de foi, un homme limpide. « Il est dans ce qu’il dit de lui, il est transparent », écrit Anne Wiazemsky en commentant une des lettres qu’elle a reçues de lui. Mon sentiment, je le dis pour conclure, c’est que le Père Deau était un cœur pur. « Votre âme est pure », avait-il dit un jour à la romancière. Cela s’appliquait aussi à cet homme, à ce religieux prêtre, pour qui convient, sans nul doute, la 6ème Béatitude : « Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. » (Mt 5, 8).

NOTE:  8,5/10

Luc Schweitzer, sscc.