Un film de Céline Sciamma.
Ils ne sont pas si nombreux, les cinéastes qui savent se mettre à hauteur d’enfance. Céline Sciamma en fait certainement partie, tout comme Jacques Doillon qui, en 1996, réussissait un film prodigieux mettant en scène une fillette de 4 ans n’acceptant pas la mort de sa mère (Ponette). Dans Petite Maman, il est également question de deuil et d’absence. Mais c’est une petite fille de 8 ans prénommée Nelly (Joséphine Sanz) qui vient de perdre non sa mère, mais sa grand-mère. Or, avec ses parents, manière de faire son deuil, elle doit rester, durant quelques jours, dans la maison de la défunte afin d’aider à la vider. Que peut-on trouver, entre autres, parmi les objets restés dans ce lieu, sinon des souvenirs de Marion, la mère de Nelly ? De ces objets liés à l’enfance, précisément, qu’on laisse derrière soi quand, devenu adulte, on prend son indépendance. Des cahiers d’écolier, par exemple. Mais il n’y a pas que la maison qui regorge de souvenirs. Il y a aussi les environs, particulièrement la forêt où, jadis, Marion s’était amusée à construire une cabane…
Comment la petite Nelly ne pourrait-elle pas, à son tour, vouloir explorer la forêt qui était le terrain de jeux de sa mère quand elle avait son âge ? Une mère qui, justement, pour on ne sait quelles raisons, peut-être parce que ce lieu est trop chargé d’émotion, vient de partir, laissant la fillette seule avec son père. C’est là que commence la magie qu’offre le cinéma, la dimension fantastique, si l’on veut, même si Céline Sciamma n’éprouve nulle nécessité de se servir d’effets spéciaux. Pas de machine à remonter le temps, ici, mais un basculement temporel aussi simple qu’un bonjour. Dans la forêt, la petite Nelly fait la connaissance d’une fillette occupée à construire une cabane. C’est Marion (Gabrielle Sanz), sa maman, au même âge qu’elle, 8 ans ! Elles se ressemblent comme deux gouttes d’eau.
Lors d’une des scènes d’échanges verbaux entre Nelly et son père, la fillette reproche à ce dernier de ne parler de son enfance qu’au moyen d’anecdotes, jamais en racontant quelque chose d’important. Or la voilà confrontée à sa propre mère à l’âge de l’enfance et, bientôt, aussi, à sa grand-mère à la même époque. C’est, pour Nelly, le moyen, justement, de découvrir des réalités qu’on ne juge pas utile de raconter aux enfants. Cette liberté de narration, cette faculté de jouer avec la temporalité, Céline Sciamma en fait quelque chose de simple et de fluide qui n’a pas de peine à convaincre. La complicité des deux fillettes paraît d’autant plus troublante que leurs rôles sont confiés à des jumelles. Et, bien sûr, on se régale à les voir construire leur cabane, imaginer et jouer une saynète, faire des crêpes ou encore partir explorer, sur une petite embarcation, une mystérieuse pyramide édifiée au milieu d’un étang.
C’est le trésor de l’enfance comme un cadeau pour la vie entière que Céline Sciamma a su mettre en évidence dans ce film merveilleux, d’apparence toute simple, mais tout empreint du mystère de la présence au monde, y compris de ceux qui nous ont quitté et auxquels nous sommes toujours liés. 8,5/10
Luc Schweitzer, ss.cc.