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ANÉANTIR

Un roman de Michel Houellebecq.

 

Le livre se présente sous la forme d’une édition particulièrement soignée. Avec sa couverture cartonnée, son bandeau rouge et ses 700 et quelques pages, il ne passe pas inaperçu, d’autant plus que la plupart des libraires le mettent bien en évidence. Quant à la publicité savamment orchestrée autour de sa parution, elle est du même ordre que celle qu’on réserve aux grosses productions cinématographiques, celles qu’on appelle des blockbusters, censés attirer un grand nombre de spectateurs. Ainsi en est-il désormais de Michel Houellebecq, dont les livres sont ravalés au rang d’objets commerciaux, et rien de plus.

Venons-en cependant au contenu de ce roman (car, tout de même, il y a un contenu !), puisque l’occasion m’a été offerte de le lire. Ce n’est d’ailleurs que le deuxième livre de Houellebecq que je me farcis. Le premier, en 2015, ce fut Soumission, dont le moins que je puisse dire est qu’il ne méritait pas le battage dont il faisait l’objet. Il en est de même en ce qui concerne Anéantir, même si je lui trouve un peu plus de qualités que le précédent. Ce qui ne justifie en rien le matraquage qui accompagne sa parution.

Le nouvel alter ego de Michel Houellebecq se nomme Paul Raison, il a la cinquantaine et travaille en tant que haut fonctionnaire au Ministère de l’Economie et des Finances. Comme tous les anti-héros houellebecqiens, il est confronté à son propre vide existentiel au moment même où le couple qu’il forme avec une dénommée Prudence se trouve passablement en crise. Précisons également que l’action du récit se situe en 2027, juste au moment où se déroule la campagne pour l’élection d’un nouveau président de la République. On pourra estimer, me semble-t-il, que ce n’est pas très futé, de la part de l’auteur, que de situer son histoire dans un futur si proche de nous, ce qui la condamne à paraître rapidement totalement désuète. D’autant plus que, comme il le faisait déjà dans Soumission, Houellebecq émaille son roman de noms et de références propres à notre temps qui, d’ici une dizaine ou une vingtaine d’années, ne diront plus rien à personne. Les romans de Houellebecq semblent destinés à vieillir à la vitesse grand V.

Dans Anéantir, on peut distinguer trois niveaux de lecture. Un niveau politique, comme je viens de le signaler, avec le personnage nommé Bruno Juge (inspiré, paraît-il, de Bruno Lemaire) : on pourra, si l’on veut s’amuser, de cet aspect de l’ouvrage, de ce qu’imagine Houellebecq, de ce que deviennent, sous sa plume, certains protagonistes connus du monde politique et médiatique du paysage français, mais on pourra aussi (comme ce fut mon cas) ne voir là que banalités sans intérêt qui composent les pages les plus ternes et les plus indigestes du gros roman (par ailleurs écrit dans un style assez plat). Le deuxième niveau du roman, c’est celui qui mêle l’ésotérisme et le terrorisme. Pendant la campagne présidentielle, en effet, apparaissent régulièrement des messages cryptés, et même le dessin (comme surgi du XIXe siècle) du démon Baphomet, en même temps qu’ont lieu des attentats (vidéos macabres, fausse exécution de Bruno Juge, attaques d’une banque de sperme, massacres de migrants). Or, cette facette de son roman, Houellebecq ne semble pas savoir qu’en faire. Elle se glisse, ici et là, dans le déroulé du roman, elle crée un climat de peur mais n’a pas de réelle répercussion sur ce qui se passe. Enfin, le troisième niveau du roman (et c’est, de loin, le plus intéressant) confronte son personnage principal, Paul, à l’angoisse de la maladie, de la mort et du néant. C’est sur ce terrain, qui lui est familier, que Houellebecq s’avère le plus à l’aise. Son alter ego, en effet, se doit de résoudre des difficultés liées à la vieillesse de son père, avant de découvrir que lui-même est gravement malade : il risque de bientôt mourir d’un cancer de la mâchoire. C’est en décrivant le monde des hôpitaux, des EHPAD, des rendez-vous avec le personnel soignant, des délibérations de Paul avec son frère et sa sœur, etc., le tout imprégné d’une forte dimension métaphysique, que Houellebecq suscite le plus grand intérêt. En décrivant un personnage qui s’apprête à mourir, l’écrivain, de manière sous-jacente, traite aussi d’une civilisation qui, selon lui, non seulement est en déclin mais risque de périr.

Sur ce dernier sujet, le romancier malheureusement reste dépendant de ses obsessions et de ses limites. Sa peur des différences et sa misogynie révulsent. Mais, dans ses tentatives de trouver du sens aux destinées humaines, même si c’est, en fin de compte, pour se complaire dans de fumeuses croyances en de possibles réincarnations, il réussit, parfois, à poser les bonnes questions, par exemple en citant Blaise Pascal. On remarquera à quel point, peut-être à son corps défendant, l’auteur reste obnubilé par les religions, en particulier le christianisme. De nombreuses pages du roman y sont consacrées, d’une manière ou d’une autre. Certes, Paul ne bascule pas dans la foi, en dépit ou à cause de sa sœur catholique pratiquante, mais on devine qu’il ne faudrait pas grand-chose pour qu’advienne sa conversion.

En fin de compte, et je termine par là, il m’a semblé, et de plus en plus au fil de ma lecture, qu’au-dessus de ce roman plane, en quelque sorte, l’ombre tutélaire de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), cet écrivain décadent dont le parcours littéraire le conduisit du naturalisme de Zola à la conversion à la foi catholique en passant par un intérêt marqué pour l’ésotérisme et le satanisme. Eh bien, il y a de tout cela dans le roman de Houellebecq : du naturalisme à la Zola, quelques incartades du côté de l’ésotérisme et du satanisme et, sinon une conversion, en tout cas une obsession caractérisée pour les religions, la foi et, en particulier, le christianisme. Cerise sur le gâteau (si l’on peut dire sur ce sujet !), Paul, le personnage de Houellebecq, meurt du même mal qui emporta Huysmans dans la tombe : un cancer de la mâchoire. Difficile de voir là une simple coïncidence.

6,5/10

 

Luc Schweitzer, ss.cc.