Un livre de Marcel Conche.
Marcel Conche est né le 27 mars 1922 à Altillac (Corrèze) et est mort le 27 février 2022 à Treffort (Isère) à presque 100 ans. Et il a consacré sa vie entière à la philosophie. On peut le dire sans exagération puisqu’il prend soin de nous expliquer lui-même qu’il s’est voué à ce domaine dès l’âge de six ans lorsqu’il s’aventura jusqu’au grand tournant d’une route pour savoir si le monde continuait après.
Rien de tel que de lire, en guise de porte d’entrée vers l’œuvre philosophique de Marcel Conche, ce petit livre où l’auteur, se comparant à Épicure, se livre au lecteur en évoquant quelques-uns de ses souvenirs et quelques-unes de ses convictions. « Ma philosophie est différente de celle d’Épicure, explique-t-il d’emblée, mais ma manière de vivre est semblable à celle des disciples qui entouraient Épicure en son « jardin » ».
Pas de crainte à avoir quant à la compréhension d’un tel ouvrage, même pour les lectrices et lecteurs peu familiers de la philosophie. L’auteur s’en explique lui-même au début d’un autre ouvrage (Vivre et philosopher) en se situant clairement comme un philosophe français du pays d’Oc, c’est-à-dire peu enclin à se complaire dans un jargon qui ne serait réservé qu’à quelques initiés, à la manière d’un grand nombre d’auteurs de langue germanique. Avec Marcel Conche, rien de tel, à fortiori dans un livre comme Épicure en Corrèze où l’auteur se plaît à se raconter sur le mode de la conversation, ce qui n’empêche nullement la rigueur du style.
Ce livre est donc accessible au tout-venant, pourrait-on dire, tout en abordant, au fil des souvenirs égrenés par l’auteur, des questions de philosophie qui ne sont pas des moindres. Pour Marcel Conche, si, comme je l’ai déjà indiqué, la philosophie est entrée très tôt dans sa vie, ce ne fut pas cependant une mince affaire que d’en faire son métier, que de vivre exclusivement d’elle. Enfant puis adolescent, il dut passer beaucoup de temps aux travaux des champs ou à garder les vaches. « Je suis peut-être le seul philosophe qui ait arraché les pommes de terre… ou du moins le seul encore vivant ! », se plaît-il à dire. Quant à l’éducation reçue à l’école, il estime qu’elle était nulle ! Et ne parlons pas du catéchisme de cette époque, qui consistait à apprendre par cœur des formules, ce qui ne convenait pas au philosophe en herbe qu’était le jeune Marcel : « [Il] pose des questions ! », se plaignait le curé. Vous vous rendez compte, oser poser des questions pendant les leçons de catéchisme ! En voilà une audace !
Des questions, il ne cesse pourtant d’en poser, ou de s’en poser, tout au long de son parcours de vie, les ressassant et les affinant sans cesse, tout en recourant à des auteurs, comme Montaigne, qui sont comme de fidèles amis qui l’accompagnent toujours. Avec, au cœur de son système de pensée, la Nature. Le mot revient toujours sous sa plume, alors qu’il prétend s’être, très tôt, débarrassé de Dieu. À 16 ans, alors que son auteur de chevet était Pascal, il décida de cesser d’aller à la messe. Il préférait se promener avec l’une de ses professeurs, Marie-Thérèse Tronchon, de 15 ans son aînée, qui devint sa femme (leur mariage dura 50 ans, jusqu’au décès de cette dernière). Elle était catholique pratiquante, tandis que lui s’était persuadé qu’il n’y a pas de « dieu » (il préférait les dieux païens de certains philosophes grecs). Ce sujet, affirme-t-il, ils ne l’abordaient jamais ensemble, sauf peut-être quand il fallut décider du baptême de leur enfant (qu’accepta Marcel Conche) !
La question religieuse, dont Marcel Conche prétendait s’être, en quelque sorte, débarrassée, semble pourtant, à la lecture de son ouvrage, l’obséder encore beaucoup. En tout cas, il éprouve la nécessité de s’en expliquer longuement, arguant, par exemple, que la notion de Providence, qu’on lui a enseignée dans son enfance, est une absurdité. Comment la concilier avec la liberté ?, argumente-t-il. Quant à la non-existence de « dieu », il la déduit, entre autres, de cette réalité terrible de notre monde qui est la souffrance des enfants martyrisés. Vous affirmez que rien n’arrive sans une manifestation de la volonté de Dieu, dit-il aux croyants. Comment expliquez-vous, dans ce cas, les tortures que subissent, parfois, des enfants ? L’argument, me semble-t-il, est sérieux et ne peut être rejeté d’une simple chiquenaude et je me garderais bien, pour ma part, de me contenter de lui apporter une réponse de catéchisme.
On peut, bien évidemment, contester certaines affirmations ou déclarations de Marcel Conche. Certaines d’entre elles pourraient même déchaîner des débats très passionnés. Ainsi du pacifisme de l’auteur, de son refus de s’engager dans la Résistance pendant la guerre. De son plaidoyer pour un minimum de correction physique des enfants. De son refus de toute discussion avec les croyants, tant cela lui paraît impossible et inutile. De son rejet du mot même de « dieu » en philosophie (il n’y a pas sa place, affirme-t-il). Ou encore de son adhésion au processus de suicide assisté pour ceux qui le souhaitent. Autant de questions qui risquent de soulever les passions, mais auxquelles Marcel Conche invite à réfléchir de manière dédramatisée.
Tout cela pour finir par nous exposer les plus sûrs moyens d’atteindre le bonheur, selon Épicure. Il y en a quatre, quatre « remèdes », que je me garde d’énoncer, pour les laisser découvrir par d’éventuels lecteurs !
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.