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JUDAS

un roman de Amos Oz.

Sous des apparences de simplicité, le nouveau roman d’Amos Oz ne manque ni de subtilité ni de complexité et il ne fait aucun doute qu’on peut le compter parmi les oeuvres importantes de cet auteur. L’intrigue peut assez facilement se résumer. Tout se déroule entre fin 1959 et début 1960 à Jérusalem. Un étudiant hirsute et barbu âgé de 25 ans et prénommé Shmuel, ayant perdu à la fois sa fiancée (qui le plaque pour un autre) et l’allocation mensuelle que lui versait son père, décide d’interrompre ses études. Peu de temps plus tard, il tombe sur l’annonce d’un vieil homme cherchant « un homme de compagnie ». Shmuel se présente et est engagé: Son travail consistera simplement à faire la conversation tous les soirs avec l’instigateur de l’annonce qui s’appelle Wald. Avec lui, réside une mystérieuse et belle femme prénommée Atalia dont on découvre, au fil du récit, qu’elle est la veuve du fils de Wald (mort au combat pendant la guerre d’indépendance de 1948) et la fille d’un certain Shealtiel Abravanel (qui fut considéré, en Israël, comme un traître à cause de ses idéaux de paix et de ses liens amicaux avec des Arabes). La complexité du roman d’Amos Oz provient de ce que, en prenant appui sur ses personnages, sur les liens qui existent ou ont existé entre eux, sur leurs évolutions – Shmuel ne tarde pas à tomber amoureux d’Atalia, qui est pourtant bien plus âgée que lui -, l’auteur aborde, non sans érudition et subtilité, divers thèmes dont, en particulier, celui du traître. Une grande partie du roman, se fondant sur les discussions des personnages et leurs recherches, s’interroge sur la figure du traître. Celui-ci apparaît, tout particulièrement, sous les traits de deux personnages: Shealtiel Abravanel, dont j’ai déjà parlé et qui s’est opposé aux choix politiques de Ben Gourion, Shealtiel qui fut rejeté presque unanimement parce qu’il était considéré comme un rêveur ayant trahi sa patrie, et Judas Iscariote, celui qu’on méprise, le traître par excellence sur qui s’est fondé l’antisémitisme de générations de chrétiens. Car, si Shmuel a pris la décision d’abandonner ses études, il n’en continue pas moins de s’interroger au sujet de Jésus et de son disciple Judas. Et il émet des hypothèses: l’Iscariote était-il vraiment le traître qu’on se plaît à détester et qui fut représenté dans l’iconographie comme la caricature du Juif perfide?
Amos Oz n’est certes pas le premier écrivain à s’emparer de la figure du traître, à s’interroger à son sujet en se référant à celui qui semble en être l’archétype. Bien évidemment, le romancier se plaît à malmener les idées toutes faites. Les hypothèses qu’il formule à propos de Judas ne sont d’ailleurs pas totalement nouvelles. Dès le IIe siècle, un écrit apocryphe (« L’Evangile selon Judas« ) estimait que, de tous les disciples, l’Iscariote était le seul à avoir vraiment compris qui était Jésus. Je ne sais si Amos Oz a eu connaissance de ce récit, car il ne le cite pas dans son roman. Toujours est-il que, depuis longtemps, l’on s’interroge à propos de Judas et que l’on n’a sans doute pas fini de le faire. Amos Oz, par le biais d’un roman qui est aussi une méditation et une réflexion sur le thème de la traîtrise, y contribue à sa manière et il le fait avec intelligence. Quoi qu’on pense des hypothèses qui sont formulées dans ce livre, on n’en est pas moins interpellé et dérangé dans ses certitudes ou ses idées toutes faites. Personnellement, j’ai fait depuis longtemps ce choix de préconiser davantage les écrits qui nous interrogent, voire qui nous déstabilisent, plutôt que ceux qui se contentent de nous conforter dans ce que nous croyons (ou croyons croire) déjà! De ce point de vue, outre ses indéniables qualités littéraires, le « Judas » d’Amos Oz apparaît comme des grands romans de cette rentrée littéraire.

NOTE:  9/10

Luc Schweitzer, sscc.