un film de Terrence Malick.
« Je suis un étranger sur la terre ; ne me cache pas tes volontés »
Cette citation trouvée dans le psautier (118 ; 19) pourrait fort bien être mise en exergue de ce film de Terrence Malick. A nouveau, après les sublimes «The Tree of Life » et « A la Merveille », le réalisateur américain à la légendaire discrétion nous offre un de ces films-poèmes dont il s’est fait une spécialité. A nouveau également, nous avons droit à un film frisant avec l’excellence, même si, à nouveau, il paraîtra abscons à certains spectateurs et insupportable de prétention à d’autres.
Pour ce qui me concerne, pas la moindre réserve : ce nouveau film de ce qu’on peut désigner comme une trilogie m’a fasciné autant que les deux films précédents. Qu’un cinéaste nous propose autre chose qu’une œuvre classiquement narrative n’est certes pas pour me déplaire. Et qu’un film, ou plutôt que trois films se présentent à nous comme des poèmes à la fois visuels et sonores me ravit. D’autant plus que ces films sont constamment la manifestation du talent et de l’intelligence.
Il me semble d’ailleurs que l’hermétisme tout relatif de la trilogie malickienne s’éclaire à l’occasion de ce film qui, dès son ouverture, donne des clés qui ouvrent à une meilleure perception ou compréhension des trois œuvres. Le psaume que j’ai cité correspond à la première des clés : celle du pèlerin. Le mot revient fréquemment dans « Knight of Cups », ouvrant un champ de signification qui s’accorde parfaitement avec nombre de textes bibliques : nous sommes des pèlerins sur la terre.
La deuxième clé, le deuxième mot qui se fait souvent entendre au cours du film, c’est le mot « perle ». Le réalisateur le dévoile dès l’ouverture du film en contant une parabole, celle d’un prince envoyé par le roi, son père, sur une terre inconnue pour y trouver une perle de grand prix. Arrivé au pays de sa quête, le prince entre en songe et ne se souvient ni d’où il vient ni ce pourquoi il est là. C’est en somme l’inverse de ce qui est raconté dans l’évangile de St Matthieu : au lieu de trouver la perle et de l’acheter, le prince oublie jusqu’à l’objet même de sa recherche.
Le personnage joué par Christian Bale dans « Knight of Cups » se dévoile néanmoins, assez souvent, comme un être pensif qui semble percevoir qu’il n’est pas là par hasard et que sa vie n’est pas qu’un simple jeu de loterie. On perçoit nettement que c’est un homme en quête, mais en quête de ce qu’il ne sait peut-être pas clairement nommer. Pris dans un univers de faux-semblants, errant de Los Angeles à Las Vegas, incapable de se lier vraiment aux femmes qu’il fréquente, il ne parvient qu’à vivre des « expériences d’amour » mais pas à aimer en vérité. Même si c’est St Augustin qui est cité au cours du film et non l’auteur des « Pensées », le film s’imprègne, me semble-t-il, par moments, d’un ton pascalien. Beaucoup de ceux et celles qu’on voit évoluer dans « Knight of Cups » ne songent qu’à se divertir afin de mieux oublier qui ils sont, ce qu’ils font sur la Terre et ce à quoi ils sont destinés.
Le personnage joué par Christian Bale, lui, comme d’autres personnages évoluant dans les deux films précédents du cinéaste, se débat dans sa nuit mystique. Le qualificatif peut sembler incongru, mais il l’est d’autant moins que les films de Terrence Malick s’inscrivent délibérément dans le cadre d’une quête au sens religieux du mot. On oublie d’ailleurs trop facilement que le mot « mystique » ne s’accorde pas uniquement à « extase » mais aussi à « nuit ». Les mystiques sont peut-être d’abord et avant tout des poètes de la nuit. Et l’on peut sans trop d’audace affirmer que Malick, dans ses trois derniers films, se fait poète de cette nuit-là. Ses personnages en errance, blessés intérieurement, évoluant au gré de leur mémoire, ne perçoivent rien de plus que des bribes de ce qu’au fond d’eux-mêmes ils cherchent tous : l’amour, la compassion, la joie.
La perle recherchée est pourtant là, visible, apparaissant aux yeux des protagonistes qui semblent comme empêchés de la voir. Dans « A la Merveille », elle se dévoilait quand le personnage du prêtre joué par Javier Bardem visitait des prisonniers ou se dévouait pour les pauvres de sa paroisse. Ici, dans « Knight of Cups », elle apparaît de même, mais fugacement, quand le réalisateur nous montre une infirmière soignant des malades aux membres hideusement atteints. Oui, la perle est là, toute proche, mais le monde est tel et les êtres qui s’y trouvent sont si perdus qu’ils ont du mal à la désigner (s’ils ne passent pas leur vie entière sans même se douter qu’elle existe).
Il y a tout cela, et bien plus que cela, dans ce nouveau poème filmé de Terrence Malick. Un ravissement pour l’esprit, un enchantement pour les yeux et pour les oreilles, tant le réalisateur soigne chacun de ses plans et chaque élément de sa bande-son. Dans « Knight of Cups », les images sont peut-être moins immédiatement séduisantes que dans les deux films précédents, car la caméra évolue essentiellement en milieu urbain, mais elles sont extrêmement soignées, comme l’est le montage du film. Le cinéaste-poète Terrence Malick a fait merveille une fois encore.
NOTE: 9/10
Luc Schweitzer, sscc.