un film de Nicolas Boukhrief.
Si Béatrix Beck (1914-2008) était encore de ce monde, il n’est pas sûr du tout qu’elle applaudirait à cette nouvelle adaptation de « Léon Morin, prêtre», son roman (d’inspiration autobiographique) paru en 1952, pas plus qu’elle n’avait donné son entier satisfecit au film qu’en avait tiré Jean-Pierre Melville dès 1961. Elle s’estimait trahie tout en appréciant le jeu de Jean-Paul Belmondo. Mais la déception étant le lot commun de quasiment tous les romanciers lorsqu’ils découvrent le sort réservé à leur œuvre sur grand écran, on est tout à fait en droit, en tant que spectateurs, d’avoir un avis différent.
Hormis une ou deux faiblesses scénaristiques assez peu importantes, il me semble, quoi qu’il en soit, que cette nouvelle adaptation ne démérite pas par rapport à la première. Romain Duris, tout en se gardant bien évidemment de prendre pour modèle son illustre prédécesseur, n’en réussit pas moins à incarner de manière très convaincante le rôle du prêtre. Quant à Marine Vacth, dans celui de Barny, elle déploie avec finesse une nouvelle facette de son talent d’actrice, bien différente de celles dont elle a fait preuve avec François Ozon ou Jean-Paul Rappeneau.
Pour ceux qui n’ont connaissance ni du roman de Béatrix Beck ni du film de Jean-Pierre Melville, rappelons le cadre de ce récit. Cela se déroule pendant l’Occupation dans une petite ville française à l’heure où arrive le nouveau prêtre chargé du service de cette paroisse. Aussitôt, dans la bourgade, c’est l’effervescence : Léon Morin ne passe pas inaperçu, il est jeune et ne manque ni d’agrément ni de charisme. Tant et si bien qu’on ne parle que de lui. Il en est de même à la Poste où toutes les employées n’ont que son nom à la bouche, ce qui agace considérablement Barny, une communiste affirmant volontiers son athéisme et qui élève seule sa fille, son mari ayant été retenu prisonnier en Allemagne. Elle s’irrite tellement de n’entendre parler que du prêtre qu’elle se résoud à se rendre à l’église et à lui parler au confessionnal, non pour lui avouer ses fautes bien sûr mais, au contraire, pour lui faire savoir qu’elle s’oppose à ses convictions. Or la réaction de Léon Morin ne s’accorde nullement avec les préjugés qu’elle pouvait avoir : non seulement le prêtre ne se formalise pas, mais il l’invite à lui rendre visite au presbytère afin de lui remettre un livre (ce sera « Les quatre Evangiles ») et d’aller plus avant dans leur dialogue. Commence alors une série d’entrevues et d’échanges qui bouleverseront le cœur et l’esprit de la jeune femme et, sans doute aussi, ceux du prêtre lui-même.
Il faut souligner la qualité d’écriture des dialogues de ce film. Je ne sais dans quelle mesure ils ont été puisés dans le livre de Béatrix Beck, mais ils sont remarquables de profondeur et de justesse. Ils ont le son et le ton du véridique, pourrait-on dire, tout en paraissant étonnamment modernes si l’on tient compte de l’époque durant laquelle ils sont censés avoir été prononcés. Les propos tenus par Léon Morin, certains d’entre eux en tout cas, pourraient, aujourd’hui encore, paraître audacieux pour quelques oreilles.
Ce prêtre manque-t-il de sagesse ou de prudence en osant une proximité trop grande avec une jeune femme qui certes se montre rapidement avide d’éclaircissements quant à la foi chrétienne (elle qui, au départ, réclamait des preuves!), mais en qui grandit aussi une fascination qui n’est pas que spirituelle ? Chacun en pensera ce qu’il voudra ! Ce qui est sûr, c’est que cette rencontre, qui, d’une certaine façon, se doit de finir assez brutalement, aura mis en lumière deux amours : l’un qui ne peut aboutir, mais l’autre qui surpasse et englobe tout le vivant. Une scène du milieu du film l’indique fortement et en donne le sens (dans un moment tragique, devant plusieurs cercueils de fusillés) : on y voit Léon Morin lire des passages de l’hymne à la Charité de la Première Lettre de Saint Paul aux Corinthiens (1Co 13, 1-13). Il n’est pas sûr du tout que Barny ait réellement trouvé la foi au contact de Léon Morin, mais à coup sûr, elle a trouvé l’amour. Sauf que ce n’est pas l’amour qu’elle avait souhaité. Léon Morin, lui, l’avait deviné ou pressenti : « cette jeune femme, avait-il affirmé, est plus proche de Dieu que la plupart de mes autres paroissiens ! ». Gageons qu’il avait vu juste !
NOTE: 8/10
Luc Schweitzer, sscc.