aucun commentaire pour l'instant

LA FORÊT DE QUINCONCES

un film de Grégoire Leprince-Ringuet.

On a déjà eu de nombreuses occasions d’apprécier le talent d’acteur de Grégoire Leprince-Ringuet, aussi à l’aise dans un film de Christophe Honoré que dans un autre de Bertrand Tavernier ou encore de Robert Guégiguian. Or le voici qui non seulement se produit comme acteur mais comme scénariste et réalisateur. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce premier essai contient beaucoup de promesses.

C’est un film intrigant, quelque peu déroutant peut-être, mais irrésistiblement séduisant, qu’a écrit et mis en scène Grégoire Leprince-Ringuet. En se basant sur des poèmes qu’il avait écrits il y a longtemps, il a bâti un fil dramatique et des personnages. Les dialogues du film sont donc constitués pour une bonne part de poèmes versifiés de manière très classique (des alexandrins mais aussi des octosyllabes, m’a-t-il semblé) et rimés. Et c’est un des grands plaisirs que procure ce film que de faire entendre ces vers. Ils interviennent de manière très naturelle, sans s’exhiber, mais en imprégnant le long-métrage de leur musicalité. Car, qu’on le veuille ou non, et même si beaucoup de poètes contemporains l’ont laissé choir (ce que je regrette!), il n’y a rien de tel que le vers de forme classique pour faire chanter les mots. L’alexandrin et l’octosyllabe sont naturellement musicaux et ce film en bénéficie extraordinairement. Il donne l’impression d’être chanté en effet.

Une des autres grandes qualités de « La Forêt de Quinconces », c’est son casting et, en particulier, outre le rôle tenu par le réalisateur lui-même, le choix des deux actrices principales, toutes deux superbes et très talentueuses : Amandine Truffy dans le rôle d’Ondine et Pauline Caupenne dans celui de Camille.

Enfin, outre l’excellence de son écriture et du choix des acteurs et actrices, il faut louer la mise en scène et la réalisation du film, plein de bonnes idées, parsemé d’indices qui éclairent et déroutent tout à la fois, comme il se doit quand on a affaire à un conte. Car, même si l’intrigue se noue et se dénoue au cœur des réalités les plus ordinaires de notre temps, c’est bien sous ce registre qu’il faut le percevoir. Et comme dans les meilleurs contes, il est ici question d’ensorcellement et d’objets dotés de pouvoirs.

Il est question aussi d’une forêt, celle qui donne son titre au film, la forêt de quinconces qui est plantée d’arbres si ordonnancés qu’on s’y perd. Autour de soi, quand on s’y trouve, s’ouvre une multitude de chemins. Pour Paul (le personnage joué par Grégoire Leprince-Ringuet lui-même), cela fait écho aux atermoiements du cœur, aux difficultés d’aimer ou d’apprendre à aimer en vérité. Qu’en est-il d’Ondine qui, après qu’il l’ait fait littéralement tomber, décide de le laisser parce qu’elle le trouve trop distant ? Et qu’en est-il de Camille l’ensorceleuse que Paul rencontre un peu plus tard à la faveur de la séquence la plus extraordinairement mise en scène de tout le film ? Après un échange de propos des plus étranges avec un sans-abri qui prend figure d’augure, Paul croise le chemin de Camille dans une voiture de métro, la main du premier s’approchant autant qu’il est possible de la main de la deuxième enserrant une barre. Paul prend ensuite la belle inconnue en filature jusqu’à entrer à sa suite dans une salle de spectacle où tous deux se rejoignent au milieu de danseurs. Et c’est sur les toits que tous deux se retrouvent enfin pour parachever leur alliance. Et pour mettre fin à une séquence dont il faut louer tous les aspects, sans oublier l’extraordinaire bande-son.

Cela étant dit, même dans ses scènes les plus ordinaires, voire triviales (un échange de propos dans un escalier ou sur un trottoir de Paris), le film n’est jamais banal. Il respire tout entier de son empreinte poétique. Et il s’ouvre, de ce fait, sur de multiples interprétations. Ne peut-on pas voir dans les blessures infligées au coude et aux genoux d’Ondine, du fait de sa chute, et à la joue de Camille qui s’orne d’une balafre d’où s’écoule une goutte de sang qui désenvoûte, ne peut-on pas voir dans ces blessures des ouvertures sur le mystère des êtres, sur les cœurs insondables qui y palpitent ?

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que ce film gagnera à être revu autant de fois qu’on le voudra. Semblable aux meilleurs recueils de poésies qu’on peut lire et relire tout au long de sa vie sans jamais en épuiser la substance, « La Forêt de Quinconces » également, j’en suis persuadé, fait partie de ces films qu’on n’a jamais fini de redécouvrir et qui n’ont jamais fini de surprendre (parce qu’ils ne se donnent jamais tout entier, comme les poésies). Et ces films-là sont les meilleurs de tous ! 

NOTE:  8,5/10

Luc Schweitzer, sscc.