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LE FILS DE JOSEPH

un film de Eugène Green.

Le temps de se réhabituer au style unique d’Eugène Green, à une langue qui emprunte autant à l’ancien qu’au moderne, à une diction qui respecte scrupuleusement toutes les liaisons, et nous voilà à nouveau emporté, dès les premières scènes, dans une aventure si riche de contenu, si pleine de pistes qu’on ne peut l’appréhender totalement en se contentant d’une seule séance. Autant dire que l’on a déjà hâte de voir paraître ce film en DVD afin de le voir et le revoir à loisir.

Au cœur du récit ou plutôt de la parabole proposée par le réalisateur (américain d’origine, mais amoureux de la France et de l’Europe bien plus que de sa patrie d’origine), se trouve un jeune homme prénommé Vincent (Victor Ezenfis), jeune homme dont trois scènes soulignent à la fois l’étrangeté de caractère et la profondeur des désirs secrets qui l’habitent : un jeune homme sensible (il ne supporte pas qu’on maltraite un animal nuisible pris au piège), un jeune homme facétieux (s’il vole un objet dans un magasin, c’est pour le remettre à sa place aussitôt après), un jeune homme droit (à un camarade qui lui propose un marché rentable mais douteux, il oppose une fin de non-recevoir). Mais s’il donne une impression d’étrangeté, c’est peut-être aussi et surtout parce que Vincent a le cœur tiraillé de souffrance, celle d’être privé de père.

A sa mère Marie (Natacha Régnier) qui s’inquiète de lui, il répond brutalement qu’il lui manque l’amour. Il ne sait pas aimer et il n’est aimé par personne, ose-t-il affirmer à celle qui précisément l’aime plus que tout. Mais quant à révéler l’identité du père, elle s’y refuse obstinément, ce qui oblige Vincent à mener sa propre quête. C’est sans doute ce mot-là qui résume le mieux le sujet central du film. En se mettant en quête d’un père, que cherche Vincent si ce n’est d’apprendre à aimer ?

Non sans humour, Eugène Green conduit son personnage de jeune homme aventureux et avide de vraie connaissance sur des chemins d’excentricité tout en posant la question de la paternité (et, du même coup, bien sûr, celle de la filiation). Le chemin conduit à Oscar Pormenor (Mathieu Amalric), un grand éditeur parisien entouré de ses fidèles (secrétaire, écrivains, critiques) dont le réalisateur se fait un malin plaisir de souligner tous les ridicules. Si ce microcosme grotesque n’a bien évidemment rien à donner d’autre que sa vanité, il faut cependant en passer par lui pour atteindre un père et le sacrifier (ou, en tout cas, tenter de le sacrifier).

Comme dans « Le sacrifice d’Isaac » de Caravage dont le jeune homme contemple une reproduction affichée dans sa chambre, mais en inversant les rôles, le fils tend le couteau vers le père mais ne va pas au bout de son acte. Et c’est en Joseph (Fabrizio Rongione), son oncle dont il ignorait jusque là l’existence et qui survient à point nommé, que Vincent trouve un père. En visite au musée du Louvre, c’est encore dans la contemplation d’un tableau, en l’occurrence « Saint Joseph charpentier » de Georges de La Tour, que se révèle l’intimité des êtres : à Vincent qui affirme que saint Joseph n’était pas le vrai père de Jésus, l’oncle Joseph répond que si, c’était son vrai père, car la paternité lui a été donnée par le Fils.

Comme dans « La Sapienza », le film précédent du réalisateur, tout est affaire de transmission, mais pas à sens unique. Entre Vincent et Joseph, c’est comme un va-et-vient de connaissances qui circule : tous deux se réalisent et se découvrent autant dans la joie du don que dans celle de la réception. Quant à la teneur du don, elle ne peut être mieux désignée que par le verbe aimer, d’autant plus que le don ne tarde pas à prendre le visage et l’aspect de Marie, la mère. Quant à Pormenor, le père biologique, qui sait s’il n’y a pas pour lui aussi une voie de salut, tout éditeur égoïste qu’il est ?

Magnifiquement écrit et judicieusement divisé en cinq chapitres qui se réfèrent à des scènes bibliques (Le Sacrifice d’Abraham, Le Veau d’Or, Le Sacrifice d’Isaac, Le Charpentier, La Fuite en Egypte), ce film émerveille, amuse et séduit irrésistiblement. Eugène Green ne bâcle rien, il invite à la contemplation et à l’ouverture du cœur. Et quand il donne place à la musique, lors d’une des scènes les plus belles du film, il laisse entendre la pièce musicale choisie dans son intégralité (une pièce de Domenico Mazzocchi interprété par le Poème Harmonique de Vincent Dumestre). Pur moment de grâce au sein d’un film qui entreprend précisément de chercher la grâce oeuvrant au plus secret des cœurs.

NOTE:  8,5/10

Luc Schweitzer, sscc.