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LES INVISIBLES

Un film de Louis-Julien Petit.

 

Dans la vie ordinaire, celle de tous les jours, elles sont assurément invisibles, on peut passer à côté d’elles sans même les remarquer. Mais la grâce de ce film vivifiant, c’est précisément de donner à nouveau non seulement une visibilité mais une parole à ces femmes-là. Elles, ce sont les femmes de la rue qui, presque toutes, peut-être pour ne pas avoir à dévoiler leur vraie identité, se sont choisies pour pseudonymes des noms de célébrités : il y a Lady Di, Brigitte Macron, Dalida, etc. L’une d’entre elles, cependant, se nomme simplement Chantal dans « Les Invisibles » (Adolpha Van Meerhaeghe dans la vie réelle) et elle est l’une des femmes qui y sont les plus présentes et pour cause. Elle possède un don pour la réparation des machines fonctionnant à l’électricité et n’a pas sa langue dans sa poche.

Dès la première scène, le film nous met dans l’ambiance. Les femmes se pressent derrière une grille que vient ouvrir la pétulante actrice Déborah Lukumuena (qu’on avait vue dans « Divines » en 2016). C’est au centre social « L’Envol » accueillant durant la journée les femmes SDF que des visages connus les reçoivent : Audrey Lamy, Noémie Lvovsky et Corinne Masiero y sont les animatrices. Mettre dans un même film acteurs professionnels et non professionnels, cela s’est déjà pratiqué, mais pas toujours avec autant de bonheur que dans cette œuvre-ci.

En se basant sur le travail documentaire réalisé par Claire Lajeunie, Louis-Julien Petit a imaginé une aventure qui, sans jamais dénaturer la dure réalité de la vie des femmes SDF, les entraîne vers un surplus d’entraide et de solidarité. Certes, le cinéaste se garde de tout dépeindre en rose : plus d’une scène montre combien le dialogue est difficile, combien les coups de gueule sont fréquents. Mais, face à la menace qui pèse sur elles, les femmes de la rue comme les animatrices qui les accompagnent et les motivent, s’efforcent de trouver les moyens de s’en sortir. Même un centre social comme celui qu’on voit dans le film peut, en effet, être jaugé selon des critères d’efficacité, voire de rentabilité. Et si l’on estime que le taux de réinsertion des femmes accueillies n’est pas atteint, la menace d’une fermeture ne tarde pas à apparaître. Or toute l’aventure racontée dans « Les Invisibles » nous montre que, quitte même à prendre des libertés avec les règlements, il est possible de trouver ensemble des moyens d’avancer, ce qui veut dire, en l’occurrence, dénicher un logement et un travail à ces femmes.

Pour ce faire, tout en ne dissimulant rien du mépris et de la brutalité avec lesquels les femmes de la rue sont parfois traitées par les autorités (leur camp de tentes démantelé à 5 heures du matin, les femmes étant chassées manu militari), Louis-Julien Petit prend, le plus souvent, le parti de l’humour et de la bonne humeur. C’est un pari gagnant que de mettre en scène des femmes SDF ayant gardé, pour la plupart, un superbe sens de l’humour. C’est de cette façon-là, entre autres, qu’elles expriment quelque chose d’une fierté qu’elles n’ont pas perdue. Même marquées par les épreuves, elles sont restées belles et joyeuses. C’est réjouissant de voir « Lady Di » se trouver un mec et c’est encore plus réjouissant d’admirer l’honnêteté, la transparence de Chantal. Les animatrices du centre social ont beau lui expliquer qu’il n’est pas nécessaire de tout dire pendant les entretiens d’embauche, rien n’y fait : Chantal ne peut s’empêcher de révéler que sa formation de réparatrice, c’est en passant par la case « prison » qu’elle l’a acquise.

On n’oubliera ni leurs visages ni leur gouaille ni leur résistance envers et contre tout à ceux qui voudraient leur faire plier l’échine : elles donnent un bel exemple de vie, ces « invisibles » !

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, ss.cc.