un film de Christophe Honoré.
Rangés au rayon de la bibliothèque rose, les romans de la Comtesse de Ségur, s’ils n’ont jamais connu de totale désaffection, sont pourtant aujourd’hui beaucoup moins lus que dans le passé. Sans doute les juge-t-on vraiment trop désuets pour notre temps. Qu’a-t-on à faire en 2016 des robes en taffetas de la Comtesse et de ses petites filles modèles ? Cela semble vraiment très démodé.
Certes, mais l’un des mérites du film qui vient de paraître sur nos écrans, c’est précisément de changer notre perception et de réviser nos préjugés. En adaptant deux des romans les plus célèbres de la Comtesse de Ségur (« Les Malheurs de Sophie » et « Les petites Filles modèles »), Christophe Honoré, le réalisateur, invite à découvrir ou à redécouvrir, sous les apparences, ce qu’ont de moderne ces récits. Ces livres, qui ont été édités pour la première fois l’un en 1859 l’autre en 1866, parlent certes de petites filles de ce temps-là, mais avec des caractéristiques qui ne manquent pas de surprendre si l’on y réfléchit un peu. Etait-ce banal, au milieu du XIXème siècle, de raconter les aventures d’une fillette qui fait les 400 coups ? Etait-ce évident de la décrire colérique, menteuse, voleuse et même apte à traiter les animaux avec sadisme ?
Dans le film, comme dans les romans, la petite Sophie (Caroline Grant) va incorrigiblement de bêtises en bêtises malgré les remontrances de sa mère, Mme de Réan (Golshifteh Farahani). Par contraste, son cousin Paul, le petit garçon du roman, lui, se comporte avec beaucoup plus de sagesse. C’est la petite fille qui multiplie les tours tandis que le petit garçon se comporte comme un enfant sage ! L’une des premières scènes du film donne le ton : s’étant querellé avec Sophie, le petit Paul a brisé un vase précieux et, pour sa punition, est contraint de garder la chambre. Un peu plus tard, alors qu’il lui est proposé d’en finir avec sa punition et de rejoindre les fillettes, Paul juge qu’il mérite de rester enfermé et s’en va dans sa chambre lire l’ « Emile » de Jean-Jacques Rousseau, pendant que Sophie et ses amies, elles, s’amusent comme des folles !
Je n’ai nul besoin d’en dire davantage pour souligner combien ce film met l’accent sur la modernité des récits de la Comtesse de Ségur et sur leur audace. On peut sans peine y distinguer deux parties qui correspondent aux deux romans adaptés par le cinéaste : la première, au ton plutôt léger, narrant les multiples sottises de Sophie, la deuxième, plus grave, racontant les sévices endurés par la fillette après la mort tragique de sa mère et son « adoption » par une belle-mère venue d’Amérique, Mme Fichini (Muriel Robin), femme acariâtre et adepte des châtiments corporels. Fort heureusement pour l’enfant, c’est, en fin de compte, la douce Mme de Fleurville (Anaïs Demoustier), qui sera sa protectrice et sa tutrice.
Aux qualités intrinsèques des romans de la Comtesse de Ségur, dont j’ai tenté de donner un rapide aperçu, il faut ajouter celles qui sont propres à l’oeuvre cinématographique qui nous est proposée. J’en détecte deux qui se complètent admirablement : d’une part le talent des acteurs et actrices, à commencer par le jeu superbe de la petite Caroline Grant qui interprète Sophie, d’autre part les judicieuses idées de mise en scène adoptées par le cinéaste qui nous livre un film le plus souvent pétillant de vitalité. Heureuse idée que d’avoir intégré au film des animaux en dessins animés, heureuse idée que d’avoir mis en mouvement des tableaux pour figurer la tempête qui scelle la fin de la mère de Sophie, heureuse idée que d’avoir introduit dans le film quelques chansons, etc. C’est un film plein de bonnes idées, oui, et qui, de plus, peut ravir tous les publics, les enfants (sauf peut-être les plus petits à cause de scènes quelque peu cruelles) et même les adultes !
NOTE: 8/10
Luc Schweitzer, sscc.