Un film de Hubert Viel.
On ne se plaindra pas de voir paraître, assez régulièrement, sur nos écrans, des films ayant pour sujet la précarité dans le monde agricole. Après Petit Paysan d’Hubert Charuel en 2017 et Au nom de la Terre d’Edouard Bergeon en 2019, voici Louloute, un film qui aborde bel et bien ce même thème, mais avec la particularité de privilégier un regard d’enfant.
Au début du film, c’est une adulte que nous découvrons : Louise, dite Louloute (Erika Sainte), qui exerce le métier de professeure d’histoire-géographie. Or, il se trouve qu’elle reconnaît en l’un de ses collègues, un professeur d’anglais, nouvellement arrivé, un camarade de jeux du temps de son enfance, qui plus est le camarade qu’elle avait élu pour être son « amoureux ». C’est ainsi, par ce biais, du fait de ces retrouvailles, que Louise en vient à se remémorer les événements de son enfance, non seulement à l’école, mais surtout à la ferme, avec ses parents Isabelle (Laure Calamy) et Jean-Jacques (Bruno Clairefond), ainsi que son grand frère et sa petite sœur.
Le film se présente donc, de manière très classique, comme une suite d’aller et de retour entre le présent (Louise adulte) et le passé (Louise à l’âge de dix ans, jouée par Alice Henri). L’esthétique du film, le grain de l’image par exemple, accentue l’aspect nostalgique qui imprègne l’œuvre. Pourtant, tout n’était pas rose, il s’en faut de beaucoup, pour la petite fille qu’était Louloute. D’ailleurs, à son camarade devenu professeur qui lui dit qu’enfant, elle lui paraissait un peu folle, elle préfère employer le mot « mélancolique ». Un mot qui se justifie en effet : plus que son frère ou que sa sœur, il semble bien y avoir, chez Louloute quelque chose de l’ordre d’un vague à l’âme. Ce n’est pas qu’elle soit triste, à proprement parler, elle peut même, à l’occasion, se montrer joyeuse, mais c’est comme si elle percevait, malgré son âge, avec une étonnante acuité, les difficultés dans lesquelles sont empêtrés ses parents (et particulièrement son père).
On a le sentiment, d’ailleurs, que les parents eux-mêmes sont tiraillés entre, d’une part, les problèmes qu’ils doivent s’efforcer de résoudre et, d’autre part, le besoin de résister à la fatalité. Plusieurs scènes font état de la crise que doivent affronter Isabelle et Jean-Jacques, crise directement liée aux problèmes, en particulier financiers, d’une petite exploitation laitière, crise qui n’est pas sans répercussions, bien sûr, sur la vie de couple et, plus largement, sur la vie de famille. Néanmoins, envers et contre tout, il reste, chez Jean-Jacques, quelque chose de l’ordre d’une affectivité qui ne veut pas disparaître : ainsi ne se résout-il pas à vendre une vache qui, pourtant, ne donne plus de lait.
Tout cela est perçu, ne l’oublions pas, par le regard d’une petite fille de dix ans et le film reste remarquablement fidèle à ce point de vue. Pour une enfant de cet âge, les sens et les émotions sont toujours en éveil. À la ferme, la place accordée aux animaux est évidemment importante : un chien, un furet, un hibou, des vaches et des poules, avec ce que cela comporte d’heureux, mais aussi, parfois, d’effrayant : un œuf cassé dans lequel elle trouve un poussin mort ou, avec son grand-père qui l’y a emmené, la vision effarante de centaines de volailles dans un poulailler industriel. On notera aussi le rapport à la terre (la boue dans laquelle on patauge) et, de manière plus inattendue, la mention explicite de la foi. Dans sa chambre, Louloute a mis en place un « coin prière » avec ses petites statues et images pieuses. Tout en s’appuyant fermement sur son volet social, le film évite, cependant, le naturalisme pur et dur, osant même une séquence de cauchemar à la lisière du fantastique et, même, du gore.
Il faut souligner la justesse des dialogues et la pertinence avec laquelle sont dépeintes les relations de Louloute avec ses parents. Des parents qui, même s’ils se comportent parfois avec rudesse, n’en aiment pas moins passionnément leurs enfants. Le film s’achève d’ailleurs sur le beau sourire de Louloute qui vient de découvrir qu’il n’y en a qu’une comme elle sur la Terre tout entière !
8/10
Luc Schweitzer, ss.cc.