aucun commentaire pour l'instant

MACBETH

un film de Justin Kurzel.

Quel dramaturge se prête davantage aux adaptations cinématographiques que Shakespeare ? Et quelle pièce convient davantage que « Macbeth » ? Avec ses batailles, ses prophéties, ses sorcières, ses meurtres, ses paysages de landes et ses brumes, elle n’a pas manqué de séduire des réalisateurs aussi prestigieux qu’Orson Welles, Akira Kurosawa et Roman Polanski. De tels noms n’ont cependant pas intimidé, semble-t-il, le cinéaste australien Justin Kurzel dont l’adaptation comptera sans nul doute comme l’une des meilleures.

Tout commence dans la brutalité et la sauvagerie : les visages se teintent de peintures de guerre avant que ne se déchaîne une sanglante bataille qui donne la victoire à Macbeth (Michael Fassbender), chef des armées du roi d’Ecosse Duncan, contre les ennemis de ce dernier. Tout semble alors se dérouler sous le signe de la fatalité, de ce qui est écrit et annoncé par les sorcières de la lande, d’une série d’événements dont on ne peut changer le cours : c’est Macbeth qui sera roi à la place de Duncan, mais c’est à la descendance de son ami Banquo que la couronne sera ensuite transmise. Mise au courant de ces prophéties, Lady Macbeth (Marion Cotillard) incite son époux à s’emparer du trône. Commence alors un cycle de folie meurtrière visant à la conquête et à la conservation du pouvoir et que résume on ne peut mieux la plus fameuse des répliques de la pièce : « La vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ».

Mettre en scène une telle histoire cependant et la confier à des acteurs (dont il faut souligner la performance), c’est nécessairement lui donner une teinte particulière. Les choix voulus par le réalisateur Justin Kurzel n’ont rien, à mon avis, que de très légitime. Ils font du personnage de Macbeth un homme ambivalent, physiquement fort mais mentalement faible. « Le sang appelle le sang », dit-il comme pour se justifier de commettre crime après crime. Mais la vérité, c’est que, comme un enfant, il se laisse impressionner par des prophéties de sorcières et, comme une marionnette, il se laisse manipuler par son épouse.

Car c’est elle qui conduit la danse macabre. Danse sanglante à laquelle elle s’accroche jusqu’à la démence et la mort, tant elle est avide de pouvoir. On aurait tort de voir dans le rôle dévolu à cette dernière quoi que ce soit de misogyne. Dès sa venue en scène, Shakespeare lui-même a pris grand soin de lui faire renier sa propre féminité : elle clame son désir d’être « désexuée » et de ne plus voir sourdre de ses seins autre chose que du fiel ! Elle n’est plus dès lors, à proprement parler, une figure féminine mais inexorablement l’être qui tire Macbeth du côté de la nuit sans fin, ce que le réalisateur Justin Kurzel a su parfaitement mettre en image dans le film.

En fin de compte, l’appétit de pouvoir dont il est question dans cette pièce s’accompagne sinon d’un retour au paganisme, en tout cas d’un refus du Dieu chrétien. Les sorcières-démones sont-elles autre chose que des pythies conduisant au chaos ? Cet aspect n’a pas échappé à Justin Kurzel qui, sans être démonstratif, insère dans son film des indices : les signes chrétiens sont présents dans bien des scènes, mais jamais ils ne sont invoqués par les personnages. Si une croix se détache parfois derrière Lady Macbeth, c’est pour indiquer précisément que celle-ci s’en détourne. Quant aux évêques apparaissant lors de quelques scènes, comme des spectres, ils sont si blafards qu’ils semblent venus d’outre-tombe. Seules règnent la violence et la mort, au point que l’écran finit par se teinter de rouge sang.

Jusqu’à l’ultime scène où, sur le champ de bataille, sa femme étant morte et lui-même mortellement blessé, Macbeth se mette à genoux comme s’il retrouvait enfin le Dieu qu’il avait perdu !

On pourra certes regretter quelques effets de mise en scène : on se passerait volontiers de la surabondance des ralentis lors des séquences de batailles. Cela étant dit, les qualités du film l’emportent de loin sur ses défauts : si l’on fait exception des scènes de batailles, celui-ci ne manque pas de sobriété. Les décors eux-mêmes, faits de landes austères et de paysages brumeux, ont été choisis avec soin pour s’accorder aux personnages. Quant à ceux-ci, on ne dira jamais assez avec quel talent ils sont interprétés : Michael Fassbender comme Marion Cotillard méritent tous les applaudissements ! 

NOTE:  8/10

Luc Schweitzer, sscc.