aucun commentaire pour l'instant

POUR PATRIE L’ESPACE

Un roman de Francis Carsac.

Francis Carsac (1919-1981), de son vrai nom François Bordes, j’ai déjà eu l’occasion de parler de lui à propos d’un de ses six romans, Ce monde est nôtre. Déjà, j’avais été fasciné par cet auteur qui, ayant fait des études de géologie, entreprit un long voyage en Asie et s’imposa comme paléontologue, dirigeant un centre de recherches sur la préhistoire et se spécialisant dans l’étude des outils. Or, ce même homme, sous son nom d’emprunt, se mit aussi, parallèlement à sa carrière professionnelle, à écrire des romans et des nouvelles. Pour ce faire, il ne suivit pas les traces d’un J. H. Rosny Aîné (1856-1940), l’auteur de La Guerre du feu, il ne se tourna pas vers nos ancêtres de la préhistoire mais, au contraire, se projeta dans le futur lointain pour composer des livres de SF, des « space operas », et cela avec un indéniable savoir-faire. Ses ouvrages ayant plus ou moins disparu des rayons des librairies, fort heureusement, les éditions de l’Arbre Vengeur ont entrepris de les rééditer.

Comme Ce Monde est nôtre, Pour Patrie l’Espace est un roman captivant, bien construit, riche en péripéties, doté de personnages mémorables, tout en proposant, mine de rien, un beau bouquet de réflexions philosophiques de haut vol (et, néanmoins, à la portée du tout-venant, me semble-t-il).

Pour en résumer quelque peu le propos, il y est question d’un Terrien nomme Tinkar, membre de la Garde Stellaire, autrement dit un soldat, un exécutant aveugle des ordres émanant de l’Empereur qui gouverne notre vieux monde. Or, son astronef ayant été détérioré au cours d’un combat spatial, Tinkar, en détresse, est récupéré à bord du Tilsin, un gigantesque vaisseau interstellaire gouverné par ceux qu’on désigne du nom de « peuple des étoiles », des descendants d’individus s’étant rebellés contre l’Empire terrestre Galactique et ayant pris leur indépendance. Pour eux, les Terriens sont méprisables, ils s’en méfient, et pourtant, ayant accueilli Tinkar chez eux, le traitent avec certains égards. Ce qui ne supprime pas les préventions, peut-être même des haines.

Mais ce qu’entreprend ici de raconter Francis Carsac, c’est une histoire de changements de regards entre des individus qui, habituellement, ne se rencontrent pas, voire se détestent. Bien des éléments et bien des événements surviennent qui, chacun à sa manière, conduit à la transformation progressive des regards. Ou comment Tinkar, un soldat formé pour n’être qu’un exécutant fanatique, devient, au contact d’un peuple gouverné démocratiquement, un être doué de sensibilité, de doutes, de scrupules. Et comment des descendants de rebelles apprennent à faire cause commune avec celui qu’ils ont appris à craindre, entre autres pour vaincre un ennemi extérieur. Car il y a également un autre peuple, violent, conquérant, destructeur, portant le nom curieux de Mpfifis. Ceux-là, pour leur résister, pour les vaincre, il peut être très profitable de rassembler ses forces, entre Terrien et peuple des étoiles, plutôt que de rester divisés.

À cela s’ajoutent des histoires sentimentales, plusieurs femmes présentes dans le Tilsin se mettant à courtiser Tinkar. L’une d’elles, Iolia, fait partie d’un peuple de pèlerins, une communauté religieuse présente à l’intérieur du vaisseau spatial tout en gardant une certaine autonomie. Mais il y a aussi Anaena, une femme très belle qui ne laisse pas indifférent Tinkar. Les questionnements de ce dernier sont multiples, subtilement intégrés à un roman fourni en rebondissements. On ne s’y ennuie jamais, pas même quand l’auteur s’autorise quelques pauses à connotation philosophique. Ainsi, à la fin du roman, à propos du sens que peut avoir le gigantesque univers et l’éventualité d’un Dieu créateur : « L’univers était-il une immense machine aveugle, dans laquelle l’homme, sans autre but que lui-même, promenait sa soif infinie de certitude ? Ou bien les pèlerins étaient-ils dans le vrai ? Y avait-il un Dieu, différent de celui qu’on lui avait appris à adorer et à craindre, un Dieu bienveillant qui n’abandonnait pas ses créatures, même dans le châtiment ? ».

8/10

Luc Schweitzer