un film de Nicolas Saada.
Parce que son sujet entre très en résonance avec les terribles événements survenus à Paris le 13 novembre dernier, beaucoup hésiteront probablement à aller voir ce film. Certes, le voir pourrait être ressenti comme une trop pénible épreuve pour certains, mais il faut prendre en compte les multiples qualités des choix de mise en scène voulus par le réalisateur Nicolas Saada avant de se décider à assister ou non à une séance de ce film.
Ce sont des événements réels survenus à Bombay en 2008 qui ont servi de base au scénario du film. Cette année-là, des attaques islamistes visant entre autres le Taj Mahal, un hôtel grand standing, ont ensanglanté la vaste cité indienne. Comment échapper au piège du sensationnalisme quand on traite d’un tel sujet ? Y a-t-il moyen de mettre en scène le terrorisme tout en évitant de le donner en spectacle ? Peut-on donner à voir l’horreur des actes terroristes ou peut-on les faire ressentir sans jamais céder à quoi que ce soit d’ambigu ou de malsain ?
C’est une gageure peut-être que de ne pas tomber dans ces pièges, mais si c’en est une, elle a été brillamment relevée par Nicolas Saada. Son film méritera à l’avenir d’être cité, à mon avis, comme un exemple d’intelligence de mise en scène.
Comment s’y est-il pris ? Par quels moyens a-t-il si parfaitement réussi un film au sujet ô combien délicat, ô combien difficile à traiter ? Pour commencer, il a réalisé un film qui prend le temps. Avant qu’il ne soit question de terrorisme, de nombreuses scènes nous familiarisent avec d’une part les personnages principaux et d’autre part l’environnement qui est le leur. Nous découvrons par le regard d’un couple (Louis-Do de Lencquesaing et Gina McKee) et surtout par celui de leur fille Louise (formidable Stacy Martin) la ville de Bombay et son grouillement de population. Venus à Bombay dans l’intention d’y résider deux ans, ils s’installent dans un premier temps dans une suite de l’hôtel Taj Mahal. Hôtel que nous découvrons aussi avec les yeux de Louise, impressionnés par de grands espaces suscitant déjà une sorte d’angoisse.
Vient ensuite évidemment, puisque c’est le sujet du film, l’attaque des terroristes qui s’introduisent dans l’hôtel pour y faire un massacre. Elle se déroule lors d’une absence des parents de Louise, sortis en ville. Seule à occuper la suite, cette dernière se retrouve comme prise en otage. C’est à cette occasion que se vérifient les choix de mise en scène radicaux et très judicieux décidés par le réalisateur. Evitant tout sensationnalisme, celui-ci ne filme le terrible événement que du point de vue de Louise. Autrement dit, on ne vit le cauchemar qui frappe l’hôtel que par le regard et les oreilles de Louise. Hormis les scènes montrant ses parents affolés avec qui elle reste en lien par téléphone, nous ne voyons et n’entendons rien d’autre que ce que voit et entend la jeune fille : la suite plongée dans la pénombre après qu’elle ait éteint toute lumière, les lueurs filtrant sous les portes, les bruits de fusillades, les cris, etc. Pas un seul plan ne montre les terroristes accomplissant leur besogne de mort. Comme l’affirme le cinéaste lui-même dans une interview, il a voulu réaliser « un film intimiste » sur une attaque terroriste et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est réussi.
Ce n’est qu’à la fin du film qu’on aperçoit, sur un écran de télévision, les images prises par les caméras de surveillance de l’hôtel montrant les terroristes à l’oeuvre. Comme pour mieux nous signifier que ce que Nicolas Saada a voulu réaliser, c’est précisément l’inverse de ce dont se repaissent volontiers les télévisions avides de sensationnel. Et il y a fort à parier que plus d’un réalisateur n’aurait pas su davantage éviter ce piège-là.
Sans jamais donner le terrorisme en spectacle, mais en se contentant de nous en montrer les effets sur une jeune fille prise dans ses rets, « Taj Mahal » nous bouleverse, nous étreint, nous fait ressentir l’angoisse, nous tient en haleine. Oui, c’est une grande leçon de mise en scène qui nous est proposée dans ce film.
Note: 8/10
Luc Schweitzer, sscc.